Le Courrier Médical et Psychiatrique de Kinshasa

L’ADMINISTRATION DE LA PREUVE EN MATIERE PENALE : CAS DES INFRACTIONS DE VIOLENCES SEXUELLES.

L’ADMINISTRATION DE LA PREUVE EN MATIERE PENALE :       CAS DES INFRACTIONS DE VIOLENCES SEXUELLES.

    Par Evariste-Prince FUNGA MOLIMA MWATA, Conseiller à la Cour suprême de justice.

I.-INTRODUCTION.

Faire la preuve dans un procès consiste à produire des éléments qui détermineront la décision du juge. La preuve désigne donc l’établissement de la réalité d’un fait ou d’un acte juridique, ou, dans un sens plus restreint, le procédé permettant d’aboutir à cette fin.

En matière pénale, la preuve vise à la manifestation de la vérité et à la condamnation de l’auteur de l’infraction ; bref, c’est « tout moyen permettant d’affirmer l’existence d’une infraction ou son absence, la culpabilité ou l’innocence d’un prévenu »[1]. Eu égard aux intérêts en jeu dans un procès pénal, impliquant l’honneur, le patrimoine, la liberté et même la vie d’une personne humaine, la question intéresse l’ordre public, et la preuve doit pouvoir être produite en justice afin que les juges puissent s’appuyer sur un maximum d’éléments, de manière à avoir une vision aussi fidèle que possible de la réalité du cas qui leur est soumis, et ainsi prendre leur décision en toute connaissance de cause pour éviter des erreurs judiciaires.

Dans un Etat de droit, la recherche et le recueil des éléments de preuve doivent se faire dans le respect de la loi et des droits fondamentaux de chaque individu. Si la preuve est libre ici, cette liberté est cependant limitée par des exigences de la légalité tant procédurale que matérielle. Et c’est le juge qui, en définitive, apprécie la valeur à accorder à chacun des éléments de preuve qui lui sont soumis. Il ne manquera pas de tenir compte de la particularité de l’administration de la preuve en matière de violences sexuelles. 

II.-THEORIE GENERALE DE LA PREUVE.

Les faits et actes juridiques créateurs de droits subjectifs doivent être prouvés devant le juge. Il existe plusieurs procédés de preuve en droit. Mais selon qu’il s’agit de prouver des faits juridiques produisant des effets de droit non voulus par l’homme, ou des actes juridiques, manifestation de la volonté d’une ou plusieurs personne en vue de créer ces effets, les principes d’administration de la preuve diffèrent : procédés de preuve hiérarchisés dans le dernier cas, liberté de la preuve dans le second.

Nous allons nous intéresser particulièrement à la théorie de la preuve des faits juridiques, applicable en droit pénal. Elle est régie par quelques principes importants, lesquels connaissent cependant des tempéraments procédant de la théorie du procès équitable. 

A.-PRINCIPES PRESIDANT A L’ADMINISTRATION DE LA PREUVE.

Il sied de rappeler que la preuve est un moyen de convaincre le juge de la véracité d’un fait, de le convaincre du bien-fondé des prétentions d’un plaideur. Elle ne procure certes pas une certitude mathématique, puisque les risques de faux ou de mensonges par exemple ne sont pas exclus. Mais c’est absolument par la recherche des preuves que passe la solution du litige judiciaire.

A l’instar des autres systèmes de droit de la famille romano-germanique qui l’ont inspiré, le droit congolais connait deux systèmes d’admissibilité des preuves, que combine du reste le juge civil. Dans le système de la preuve légale, la loi détermine elle-même les preuves admissibles pour prouver chaque catégorie de faits et fixe d’autorité la certitude qui s’y attache (écrit, témoignage, présomptions, aveu et serment). En revanche, dans le système de la preuve morale, le juge est libre de se faire une opinion sur la valeur des preuves selon son intime conviction[2].

C’est cette dernière solution qui est admise en droit pénal. Elle emporte certaines questions que nous tâcherons de parcourir ci-dessous.

1.-Liberté de la preuve.                   

         La liberté de la preuve est un corollaire du système de la preuve morale : l’administration de la preuve se fait par tous les moyens, que ce soient des témoignages ou de simples présomptions, et le juge décide selon son intime conviction. Il est impossible en effet que l’on puisse se pré constituer la preuve d’une infraction, et de manière générale, d’un fait juridique, ses conséquences n’ayant été ni voulues, ni prévues par la victime[3].

         Le principe de la liberté de la preuve signifie donc que tous les moyens de preuve sont valables devant le juge, sous réserve de leur légalité, et qu’il ne peut, en principe, y avoir de preuve préconstituée. Pourront ainsi être pris en compte pour forger la conviction du juge répressif, les constatations matérielles faites par la police, l’officier du ministère public, les experts, ou le juge lui-même à l’occasion d’une descente sur les lieux de l’infraction ; il en sera de même des dépositions des témoins, des interrogatoires des suspects, de documents écrits ou autres, d’indices ou présomptions, etc.[4]

2.-Présomption d’innocence.

         Aux termes de l’article 17 alinéa 9 de la Constitution, « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif ».

         Le principe de la présomption d’innocence ainsi proclamé est également affirmé par l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme. Commentant ce principe, le professeur NYABIRUNGU  écrit : « Il en résulte que le prévenu n’est pas tenu d’établir son innocence par des preuves décisives. Il suffit qu’il allègue sa version des faits d’une manière vraisemblable, plausible et de nature à semer le doute dans l’esprit du juge[5] ».

         La présomption d’innocence dont bénéficie le prévenu lui confère même une autre prérogative dont il usera cependant avec prudence, découlant des principes d’un procès équitable: le droit au silence. En effet, la personne mise en cause dans un procès pénal ne peut être contrainte de témoigner contre soi-même ; elle peut se contenter de se taire et de laisser le ministère public seul démontrer sa culpabilité, quitte alors à risquer de voir le juger se laisser impressionner par l’accusation et se faire une conviction défavorable à son égard pour n’avoir pas contredit les moyens de preuve portés par celle-ci.

         L’on ne peut que s’inquiéter, au regard du traitement que réservent au prévenu aussi bien la loi et la pratique judiciaire - dès la phase pré juridictionnelle, il est « inculpé », c’est-à-dire une personne déjà « en faute », susceptible d’être placé en « détention préventive » -, que les médias, qui n’hésitent pas à le soumettre à un lynchage en règle. Dans ces conditions, en effet, la présomption d’innocence s’apparente davantage à une « présomption de culpabilité ».

3.-Charge de la preuve à l’accusation.

         Dans un procès pénal, la charge de la preuve incombe au ministère public, organe d’accusation : actori incumbit probatio. Ce dernier doit faire la preuve, non seulement des éléments constitutifs de l’infraction, mais également celle de l’absence de causes d’exonération.

         Le ministère public n’est cependant pas tenu de prouver des éléments dont l’existence est vraisemblable, et qui ne sont pas contestés par le prévenu. Il en sera ainsi en matière d’infractions matérielles où il pourra se contenter d’établir le fait matériel, sans avoir à faire la démonstration de l’élément moral qui sera déduite de la seule matérialité du fait[6].

         En cas de constitution de partie civile ainsi jointe à l’action publique du ministère public, ou de poursuites initiées par citation directe du prévenu devant le juge par la victime, celle-ci supportera également la charge de la preuve. La partie civile ou le citant ont en effet le plus grand intérêt à voir réunies sur la tête du prévenu les preuves de l’infraction dont il souffre, car de la condamnation de ce dernier dépend l’affirmation de son droit à une juste réparation du préjudice consécutif.

         Enfin, il importe de souligner qu’en matière pénale, le juge lui-même participe activement à la recherche de la vérité. C’est ainsi qu’il peut ordonner toute mesure qu’il juge opportune à cette fin.   

4.-Intime conviction du juge.

         A l’opposé du système de la preuve légale ou hiérarchisée où l’admissibilité et la valeur de chaque élément de preuve sont préalablement déterminées par la loi, celle-ci se borne, dans le système de la preuve morale, « à réglementer la recherche, la constatation et la production des preuves, mais laisse au juge la liberté entière de leur appréciation »[7], suivant son intime conviction.

         Avec raison, on a observé en effet que « tous les éléments qui servent à la construction de la preuve n’ont pas la même force probante. Certains sont plus fragiles que d’autres, c’est le cas notamment des témoignages : les témoins peuvent faire des déclarations mensongères ou subir diverses pressions qui influencent leur témoignage. La sincérité d’un témoignage ne garantit pas non plus sa véracité… »[8].

         Ici, l’intime conviction du juge supposant sa souveraine appréciation des preuves qui lui sont soumises dans un procès pénal est à ce point déterminante que le législateur a cru indispensable de préciser, concernant les procès-verbaux, qu’à l’exception de ceux auxquels elle attache une force probante particulière, le juge apprécie celle qu’il convient de leur attribuer[9].

5.­-Acquittement au bénéfice du doute.

         Il peut arriver qu’en dépit des efforts fournis par le ministère public et éventuellement la victime pour réunir les preuves de l’infraction, malgré l’instruction de la cause à l’audience, un doute raisonnable subsiste sur la culpabilité du prévenu. Dans cette hypothèse, le juge ne pourra pas rendre un verdict de condamnation ; il devra acquitter, car le doute doit profiter au prévenu.

         Il semble en effet que la société préférerait « dix coupables en liberté plutôt qu’un innocent en prison »[10], qu’il vaut mieux « acquitter cent coupables que d’en condamner un seul, au prix d’une atteinte, inadmissible, à ses droits »[11]  ou encore que « notre civilisation tient la condamnation d’un innocent pour dommage plus grave que l’impunité du coupable »[12].

         Il devient dès lors évident qu’on ne peut réaliser pareil objectif et prévenir aussi bien l’inutile fantaisie que l’arbitraire que dans un système de liberté de la preuve soumis à des limitations pour les besoins de son bon encadrement.

B.-LIMITATIONS AU PRINCIPE DE L’INTIME CONVICTION DU JUGE.

L’administration de la preuve en matière répressive est soumise au principe de la légalité qui en constitue la mesure et limite, pour ainsi dire, l’action de l’enquêteur. Mais bien au-delà de la légalité entendue en son sens strict, les principales limitations à la liberté de la preuve en matière pénale procède davantage du souci de veiller à la loyauté et à l’équilibre des forces en présence.

Dès lors, seules retiendront l’attention du juge pénal et concourront à forger son intime conviction les moyens de preuve loyaux, rationnels, respectueux de la dignité humaine et des droits de la défense.

1.-Loyauté de la preuve.

         Le principe de la loyauté de la preuve est nécessaire dans un Etat de droit. Il impose aux acteurs de la procédure pénale d’agir honnêtement, sans avoir recours à des ruses ou à des stratagèmes, car, estime-t-on, l’obtention de la preuve ne doit pas se faire au prix de violations de la loi et des libertés individuelles[13].

         Il est toutefois bon de souligner que contrairement à d’autres branches du droit telles que le droit du travail[14] et le droit des affaires[15] par exemple où il est d’une plus stricte observance, le principe est limité en droit pénal : le souci de la découverte de la vérité prime celui du respect de la vie privée ou du secret des correspondances, peut-être parce que le besoin d’être plus proche de la vérité est encore plus impérieux ici eu égard aux enjeux d’une procédure pénale touchant à la dignité et à la liberté des personnes. Il faut en effet concilier des impératifs souvent contradictoires, à savoir le besoin d’un système répressif efficace et la préservation des droits des justiciables[16].

         Il faut également constater que si le droit impose une certaine loyauté dans la recherche de la preuve par les magistrats, par les officiers de polices judiciaires agissant en exécution d’une réquisition d’information ou tout simplement dans le cadre d’une enquête de police, il semble que concernant la preuve administrée par une partie, la loyauté de la preuve n’est pas exigée, dès lors que celle-ci peut être discutée de manière contradictoire[17].

2.-Rationalité des moyens de preuve.

         Les moyens de preuve doivent être rationnels ; ils doivent être logiquement ou d’après l’expérience, de nature à contribuer à la manifestation de la vérité[18]. Les ordalies et autres incantations magiques sont à classer dans la catégorie des preuves irrationnelles, auxquelles nul juge ne devrait avoir égard.

3.-Respect de la dignité humaine.

         Dans un Etat de droit, l’obligation de respecter les droits et libertés fondamentaux des particuliers est une exigence incompressible qui s’impose à l’administration. Rien, en effet, même pas la raison d’Etat, ne saurait justifier le recours à des pratiques attentatoires à la dignité de l’homme telles que la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

         Il en est de même de tout autre procédé ayant pour effet d’annihiler la volonté,  tels que la ruse, le recours à la narco-analyse ou au sérum de vérité par exemple. Antoine RUBBENS est d’avis, et nous avec lui, que les preuves obtenues en recourant à pareilles pratiques sont à écarter des débats judiciaires, à défaut d’être le fruit de la volonté consciente du sujet. 

4.-Respect des droits de la défense.

         Divers instruments consacrent, tant en droit interne qu’en droit international, les droits de la défense comme un droit fondamental de l’être humain. C’est pourquoi, dans la recherche de la vérité judiciaire dans un procès pénal, les magistrats et autres acteurs du secteur sont tenus de l’observer. Les éléments de preuve non soumis à la contradiction au cours des débats et sur lesquels les parties n’auront pas eu la possibilité des se prononcer ne sauront être pris en compte pour former l’intime conviction du juge.

 

         III.-CAS PARTICULIER DES VIOLENCES SEXUELLES.

        Nous avons déjà souligné l’importance de la collecte des preuves en procédure pénale : elles permettent de déterminer l’auteur d’une infraction ou, au contraire, de confirmer l’innocence d’une personne.

Dans un rapport présenté au Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies en 2009, Madame Lalaina RAKOTOARISOA écrit :

« Il est extrêmement complexe d’enquêter sur les violences sexuelles, étant donné que « les allégations reposent surtout sur le discours de la victime présumée et ce n’est que « rarement que d’autres éléments viennent corroborer la parole des victimes. « Malheureusement, ce qui fait la particularité des violences sexuelles, c’est qu’elles ont « comme scène le propre corps de la victime et que l’existence de témoins est rare ou « presque impossible […]

« Il ne faut pas perdre de vue que le défaut ou le manque de preuves conduit « directement vers l’impunité de l’auteur des violences sexuelles, et par là même, du « risque pour la victime de perdre son droit à la réparation des préjudices qu’elle a « subis. La défaillance dans la recherche de solutions pour redresser ces situations peut « se transformer en une privation de droits à la victime »[19].

Devant l’ampleur et la fréquence des violences sexuelles consécutives à la situation de guerre qu’a vécue le pays, le législateur congolais a, depuis quelques années, entrepris de revisiter la loi nationale[20] en vue d’en faciliter l’administration de la preuve et la répression des auteurs.

A.-PRINCIPES LEGAUX NOUVEAUX.

Ils tendent à améliorer l’efficacité de l’action publique et à assurer la certitude de la répression des violences sexuelles. Ils concernent aussi bien l’auteur et la victime de l’infraction que la preuve de celle-ci.

    1.-Concernant l’auteur de l’infraction.

         L’article 1er de la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006 qui a ajouté une section X au livre I du Code pénal ordinaire, avec les articles 42 bis et 42 ter rend sans pertinence la qualité officielle de l’auteur d’une infraction, ainsi que l’ordre ou le commandement d’une autorité civile ou militaire quant à la détermination de la responsabilité en matière de violences sexuelles.

         Selon l’article 42 bis du Code pénal ordinaire en effet, la qualité officielle ne peut constituer ni une cause d’exonération de la responsabilité pénale, ni une cause de diminution de la peine en faveur de l’auteur d’une infraction de violences sexuelles, tandis qu’aux termes de l’article 42 ter du même Code, l’ordre hiérarchique ou le commandement de l’autorité ne peut exonérer l’auteur de l’infraction de sa responsabilité en cette matière.

         Force est cependant de constater qu’en dépit de ces nouvelles dispositions légales, certains mécanismes procéduraux qui, eux demeurent en vigueur, comme les immunités et privilèges de poursuite dont bénéficient beaucoup d’agents de l’Etat, rendent pratiquement illusoire la réalisation du vœu du législateur.

         L’article 2 de la loi précitée du 20 juillet 2006 a par ailleurs modifié et complété la section II du titre IV, livre II du Code pénal ordinaire, non seulement en élargissant le champ des incriminations relatives aux violences sexuelles, mais surtout en modifiant et élargissant la définition du viol contenue à l’article 170  de ce Code. D’une part cette infraction peut désormais être commise par une personne de sexe féminin et sur une personne de sexe masculin, d’autre part son élément matériel ne se limite plus à la seule conjonction des sexes, puisque le viol par intromission d’objet dans un orifice quelconque du corps de l’homme ou de la femme est devenu concevable.  

    2.-Concernant la victime de l’infraction.

         La loi établit une présomption irréfragable de culpabilité de l’agent, « considéré » alors comme ayant commis un viol à l’aide de violences, lorsque la victime de l’acte est âgée de moins de dix-huit ans accomplis, le consentement donné à l’acte sexuel par une personne de cet âge étant considéré comme non valide, et donc inopérant : le viol est en effet réputé commis à l’aide de violences.

    3.-Concernant la preuve de l’infraction.

         L’article 1er de la loi n° 06/019 du 20 juillet 2006 a assoupli de manière remarquable les procédures d’administration de la preuve en matière d’infractions relatives aux violences sexuelles. L’article 14 ter qu’il a ajouté au Code de procédure pénale énonce en effet, à « à titre dérogatoire », de nouvelles règles applicables à l’administration de la preuve en la matière :

« 1. le consentement ne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite « d’une victime lorsque la faculté de celle-ci à donner un consentement valable a été « altéré par l’emploi de la force, de la ruse, de stupéfiant, de la menace ou de la « contrainte ou à la faveur d’un environnement coercitif ;

« 2. le consentement ne peut en aucun cas être inféré du silence ou du manque de « résistance de la victime des violences sexuelles présumées ;

« 3. la crédibilité, l’honorabilité ou la disponibilité sexuelle d’une victime ou d’un témoin « ne peut en aucun cas être inférée de leur comportement sexuel antérieur ;

« 4. les preuves relatives au comportement sexuel antérieur d’une victime des violences « sexuelles ne peuvent exonérer le prévenu de sa responsabilité pénale »[21]

                          

               B.-ADMINISTRATION DE LA PREUVE.

         La difficulté d’administrer la preuve en matière de violences sexuelles commande qu’aucun élément de nature à concourir à l’éclatement de la vérité ne soit négligé, ni au niveau de l’enquête préliminaire et de l’instruction pré juridictionnelle, ni au stade du jugement devant le tribunal. En effet, si cette solution est commandée par le cadre même de l’administration de la preuve, elle l’est davantage encore par la nature de l’infraction poursuivie.

         Témoignages, éléments médico-légaux, indices et autres éléments seront ainsi utilement mis à contribution pour éclairer la religion du juge et asseoir son intime conviction.

1.-Témoignages.

La victime est le plus souvent l’unique « témoin » d’un acte de viol. A ce titre, sa déposition est indispensable, et peut s’avérer déterminante dans la recherche de la vérité judiciaire. En effet, ainsi que l’observe fort à propos l’organisation non gouvernementale Avocats Sans Frontières, « la déposition de la victime est capitale puisqu’en général les violences sexuelles se commettent dans des endroits isolés, obscurs, inaccessibles au public, de sorte que, faute de témoins, c’est la parole de la survivante qui est en balance avec celle de l’accusé. Elle reste le premier témoin de l’infraction et son témoignage peut emporter la conviction du juge »[22].

Des renseignements de la plus haute importance pourront ainsi être fournis par la victime sur la date, l’heure et le lieu des faits, les circonstances et le déroulement de l’agression, les événements associés, le comportement après l’agression, etc.[23]

Le témoignage des proches de la victime, des personnes qui ont pu assister à la scène ou aperçu la victime prenant la direction du lieu de l’infraction, ou remarqué un comportement étrange de sa part après l’acte, ainsi que celui du médecin qui l’a examiné seront également recueillis.  

2.-Eléments médico-légaux.

Ils seront collectés principalement sur le corps de la victime, sur le corps de l’agent et sur le lieu de l’infraction. Il peut s’agir du sperme, de taches de sang, de la sueur, de la salive, de poils, de cheveux, de morceaux d’ongles, de préservatifs, de sous-vêtements, etc. L’examen de ces objets est souvent de nature à révéler des renseignements importants et déterminants pour l’issue du procès.

Mais l’officier de police judiciaire, l’officier du ministère public ou le juge n’a pas, de par sa formation universitaire, les aptitudes scientifiques et les moyens techniques requis, ni pour procéder à de tels prélèvements suivant les règles de l’art, ni pour interpréter les éléments récoltés et leur donner le sens qui convient. Il recourra le plus souvent au médecin, en sa qualité d’expert en la matière, pour ce faire. En effet, observe encore Avocats sans Frontières, « l’intervention du médecin est cruciale dans la collecte des éléments médico-légaux, car lui seul dispose de l’outillage et de l’expertise nécessaires pour leur collecte et pour leur conservation. C’est aussi à lui que s’adresseront les réquisitions émanant des magistrats en vue de les éclairer sur l’un ou l’autre aspect technique de l’état des survivantes »[24], à moins que, intervenant en l’absence de pareille réquisition, notamment à la demande des parents, proches ou conseil de la victime, il ne soit amené à dresser un certificat relatant ses constatations, notamment sur la santé et l’âge vraisemblable de celle-ci.

Il est important de souligner que, pour permettre à l’expert de réaliser un travail réellement utile à l’instruction, la réquisition à médecin doit être rédigée en des termes aussi précis que possible ; autrement dit, les devoirs auxquels sera commis le médecin doivent être définis avec soin, de telle sorte que le rapport médical permette au juge de se faire une juste opinion sur l’un ou l’autre élément constitutif de l’infraction, mais aussi sur l’importance du préjudice souffert, en vue d’une réparation intégrale.

La même exigence de rigueur et de précision s’impose également au médecin qui ne doit pas se contenter de termes vagues, imprécis et finalement équivoques dans son rapport.  

3.-Indices et autres éléments.

Certains indices peuvent aider à établir l’existence d’un élément de l’infraction, tel l’âge de la victime, en l’absence d’un acte approprié, ou l’absence de consentement, etc.

La loi ayant consacré le principe de la flexibilité dans l’administration de la preuve des infractions de violences sexuelles, il est recommandé au magistrat de faire montre de la plus grande attention au moindre détail relevé dans les circonstances ayant entouré la commission des faits, car très souvent, c’est par les détails que se dénouent le plus souvent les plus grandes complications. C’est ce que traduisent sagement ces mots de l’écrivain russe Fiodor DOSTOIEVSKI : « Les petites choses ont leur importance ; c’est toujours par elles qu’on se perd » ; ou encore « Les choses les plus simples ne se comprennent jamais qu’à la fin, quand on a tâté de toutes les complications et de toutes les sottises »!

En définitive, en matière d’infractions de violences sexuelles comme dans toutes autres matières pénales, le fardeau de la preuve revient à l’accusation ; il lui incombe de convaincre le juge de la culpabilité du prévenu au-delà de tout doute raisonnable. Il a été rappelé, à juste titre que quoiqu’il en soit, la conviction de l’organe juridictionnel ne peut se fonder que sur les preuves recevables qu’il estime probantes et pertinentes[25].

 

         IV.-CONCLUSION.

         La preuve est la clé de tout procès. En matière pénale, la nécessité d’allier la protection de l’ordre public à celle des droits fondamentaux des individus commande le respect de la légalité dans le processus d’administration de la preuve. Il y a donc un équilibre délicat à préserver entre la recherche d’une plus grande efficacité dans la lutte contre l’impunité et la protection légale des droits de l’homme qui impose des limites à l’action de l’enquêteur.

         En matière d’infractions de violences sexuelles, la question révèle une dimension particulière à cause de la difficulté même de la collecte des éléments de preuve, liée au contexte souvent clandestin de la commission de ces infractions. La loi préconise ici une grande souplesse, dans le but principalement de garantir une répression certaine des délinquants, mais aussi une plus grande protection des droits des victimes.

                                         X              xx                   x

                           

                                               Evariste-Prince FUNGA MOLIMA MWATA                                                     Conseiller à la Cour suprême de justice

                                              

 

 

 

 



[1] NYABIRUNGU mwene SONGA, Traité de droit pénal général congolais, Editions Droit et société, Kinshasa, p. 479.

[2] Pour plus de développements, lire VOIRIN, P. et GOUBEAUX, G., Droit civil. Tome 1. 32e édition, LGDJ, Paris2009, pp. 35 et sui.

[3] En ce sens, FUCHS, T. et GUIBE, A., Droit, Hachette Technique, Paris, 1987, p. 67.

[4] Cf. notamment Union européenne, Politique de Sécurité et défense commune, Mémento de police judiciaire, EUPOL RD Congo, PNC, Kinshasa, 2010, pp. 7 et 8.

[5] NYABIRUNGU MWENE SONGA, Op. cit., p. 483. L’auteur observe cependant que les articles 27 et suivants du Code de procédure pénale  qui se rapportent à l’ « inculpé » à mettre en détention préventive sur la base de simples « indices de culpabilité » viennent contredire cette présomption d’innocence.

[6] Idem, pp. 480 et 481.

[7] Idem, p.499.

[8] Union européenne, Politique de Sécurité et défense commune, Op. cit., p.9.

[9] Article 75 du Code de procédure pénale.

[10] BLACKSTONE, W., cité dans « Preuve en droit pénal français », wikipedia.org /.../Preuve _en_droit_pén…, p.2.

[11] BOLLE, P.H., « Le procès pénal nouveau », Revue de droit pénal et de criminologie, 1995, p. 24, cité par NYABIRUNGU mwene SONGA, Op. cit., p.480.

[12] HENNAU, C. et VERHAEGEN, J., Ibidem.

[13] Cf. « La loyauté de la preuve dans la procédure pénale », https//fr-sercure.obulo.com/showcart/… , p. 1.

[14] Dans l’arrêt NIKON, la Cour de cassation française avait condamné comme déloyale le 02 octobre 2001 l’utilisation clandestine d’un système de surveillance électronique par l’employeur.

[15] Cour d’appel de Paris, arrêt du 14 mai 1994 : « L’utilisation d’un enregistrement opéré à l’insu d’un des intervenants est une déloyauté qui ne peut qu’être rejetée comme moyen de preuve ».

[16]Cf. « La loyauté de la preuve dans la procédure pénale », https//fr-sercure.obulo.com/showcart/…Op. cit. , p. 2.

[17] Cf. « Preuve en droit pénal français », in  wikipedia.org/…/Preuve_en_droit_pén… Op. cit., p. 4.

[18] Cf. NYABIRUNGU mwene SONGA, Op. cit., p. 495.

[19] Doc. A/HRC/11/CRP.2 du 18 mai 2009 ; Organismes et mécanismes de protection des droits de l’homme. Rapport de Madame Lalaina RAKOTOARISOA sur la difficulté d’établir la culpabilité et/ou la responsabilité en matière de violences sexuelles, 11e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, p. 4. Madame RAKOTOARISOA était nommée par la Commission des droits de l’homme rapporteuse spéciale chargée de procéder à une étude détaillée sur la difficulté à établir la culpabilité ou la responsabilité en matière de violences sexuelles.

[20] Notamment la loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant,  la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du30 janvier 1940 portant Code pénal congolais, la loi n° 06/019 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale congolais (textes dans Journal officiel de la République démocratique du Congo, 50e année, numéro spécial du 25 mai 2009).

[21] Ces dispositions sont en réalité une transposition en droit interne congolais de dispositions similaires du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de son règlement de procédure et de preuve.

[22] ASF, L’assistance des victimes de violences sexuelles. Vade-mecum, Francesca Boniotti éditeur responsable, Bruxelles, 2010, p. 30. On lira utilement cet ouvrage dont bien des passages nous ont inspiré dans les lignes qui suivent.

[23] ASF , Op. cit., pp. 29 et 30.

[24] Idem ,  p. 33.

[25] Doc. A/HRC/11/CRP.2 Op. cit., p. 13. Ce document rapporte de nombreux cas de jurisprudence de tribunaux pénaux internationaux : dans l’affaire AKAYESU, le tribunal pénal international pour le  Rwanda a jugé que la chambre n’était tenue dans l’administration de la preuve qu’à l’application de ses propres dispositions statutaires et réglementaires, dont l’article 89 de son règlement qui pose le principe général de recevoir comme moyen de preuve tout élément pertinent ayant valeur probante, à moins que cette dernière soit largement inférieure à l’exigence de garantir un procès équitable, et a conclu que le seul témoignage d’une victime de violences sexuelles suffisait à emporter sa conviction ; dans l’affaire TADIC, la chambre de première instance du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a également jugé qu’elle pouvait se contenter d’un seul témoignage, pour autant que celui-ci lui paraissait crédible ; les chambres du même tribunal ont également refusé d’entendre des experts médicaux concernant le crimes tels que le viol, l’outrage à la dignité de la personne ou l’esclavage et ont conclu qu’un psychanalyste ne serait d’aucun secours dans l’évaluation et l’appréciation de l’ensemble des témoignages, que l’organe juridictionnel n’est pas lié par le rapport d’expertise et qu’il reste libre dans l’appréciation des preuves qui lui sont soumises (pp. 15 et sui.)…



04/07/2011
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