Le Courrier Médical et Psychiatrique de Kinshasa

Guide pratique d’expertise médico-légale en matière de violences sexuelles

   

 

 

 

 

 

 

 

Guide pratique

 

d’expertise mÉdico-lÉgale

en matiÈre de violences sexuelles

 

 

 

 

 

 

 

 

BCNUDH

 

 

 

 

 

 

Mars 2010

 

Guide pratique

 

d’expertise médico-légale en matière de violences sexuelles

 

 

 

 

 

 

 

Conception : BCNUDH

Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme

 

 

Publication : BCNUDH/Projet ACDI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La publication de cette brochure a été rendue possible grâce au soutien financier de l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI).

 

Les opinions qu’y sont reprises n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas forcement celles du bailleur.

CHAPITRE I

 

L’expertise mÉdico-lÉgale

 

 

DÉFINITION ET MÉTHODOLOGIE

 

L’examen médico-légal englobe les interventions suivantes :

 

(1)   la collecte des indices physiques et psychologiques éventuels des blessures et autres symptômes de violences sexuelles ;

 

(2)   l’évaluation de la corrélation entre les constatations médicales et les mauvais traitements dénoncés par la victime ;

 

(3)    l’utilisation adéquate des informations obtenues pour faciliter l’établissement des faits et les investigations ultérieures des autorités judiciaires.

 

 

(1)     Collecte des indices des blessures et autres symptômes de violences sexuelles

 

L’examen médico-légal joue un rôle souvent clé dans l’administration de la preuve.

 

Sur le plan physique, l’attention portée à la présence de corps étrangers sur les vêtements ou les cheveux par exemple peut s’avérer essentielle pour corroborer le récit d’une victime. L’examen des yeux pour contrôler la présence d’hémorragies pétéchiales pourra, de la même manière, confirmer ou non un étranglement.

 

L’observation clinique est également susceptible de faciliter l’identification éventuelle de l’agresseur : en dépit de l’absence en RDC de la technologie médicale requise pour procéder à des analyses ADN, la collecte et le stockage de cheveux, tissus, ou poils pubiens étrangers à la victime peuvent être très utiles à des fins de comparaison.

 

Pour garantir un examen adéquat des victimes et assurer la préservation de la chaîne des preuves, les prestataires sont tenus a minima de se conformer aux règles suivantes :

 

a)      Rapidité de l’intervention

 

L’examen médico-légal devrait intervenir le plus rapidement possible, avant que les traces les plus évidentes ne s’estompent. Il devra être réalisé cependant quel que soit le laps de temps écoulé depuis les violences sexuelles.

 

b)      Emploi d’un protocole médical  reconnu

 

Au vu des variations considérables notées dans la conduite des consultations, les professionnels de la santé doivent veiller à consulter et suivre rigoureusement les procédures d’examen détaillées dans des publications d’organisations médicales reconnues en la matière. Ces publications sont disponibles auprès des agences du système des Nations Unies et pour la plupart accessibles en ligne. Elles décrivent les meilleures pratiques en matière de gestion clinique des victimes de violences sexuelles et contiennent des directives précises pour réaliser un examen médical approfondi et documenter les résultats de manière claire, complète et objective.

 

c)      Formation continuée

 

Les professionnels de la santé doivent être familiarisés avec le domaine particulier des violences sexuelles. Les connaissances dans ce domaine peuvent être acquises par le biais d’ouvrages scientifiques, de cours de formation, de conférences et par l’expérience pratique. Ils devraient également être au courant des pratiques locales en matière de violences sexuelles et autres mauvais traitements, car une telle information pourra éventuellement corroborer les témoignages recueillis.

 

d)      Disponibilité de fournitures minimales pour l’examen

 

Les moyens matériels nécessaires au rassemblement de la preuve médico-légale se retrouvent de manière très inégale d’une structure de santé à l’autre.

 

Pour garantir une évaluation médicale appropriée, les centres de santé veilleront à s’assurer qu’ils disposent à tout le moins des éléments contenus dans la liste suivante :

 

  • une table d’examen
  • un éclairage fixe et mobile (lampe stylo ou frontale)
  • une loupe
  • du matériel de stérilisation (autoclave, solution saline, etc.)
  • des gants d’examen et des doigtiers
  • cinq spéculums : deux spéculum d’adulte, deux spéculums de vierge (pour l’examen gynécologique des adolescentes non actives sexuellement, des femmes âgées et en cas de leucorrhées ou saignements), un gros spéculum à oreille (pour l’examen des enfants)
  • un mètre à ruban pour mesurer la taille des bleus, des lacérations, etc.
  • des aiguilles et seringues
  • des lames et porte-lames
  • quelques écouvillons (type prélèvement bactériologique)
  • des étiquettes autocollantes
  • un crayon et un feutre
  • des sacs en papier kraft (et non en plastique) pour conserver les pièces à conviction
  • des bandes papier adhésives pour sceller les sacs ou récipients
  • une armoire à clé
  • des fournitures de protection générale pour la victime lors de l’examen (blouse, tissu, drap) et des vêtements de rechange

 

 

(2)     Evaluation de la corrélation entre les constatations médicales et les mauvais traitements dénoncés

 

Pour établir l’existence de preuves physiques et psychologiques de violences sexuelles, le praticien devra envisager les cinq questions ci-dessous :

 

  • Les observations physiques et psychologiques sont-elles cohérentes avec les actes de violence allégués ?
  • Quelles sont les observations cliniques constitutives du tableau clinique ?
  • Les observations psychologiques attendues et les réactions typiques à un stress aigu ont-elles leur place dans l’environnement familial, culturel et social du sujet?
  • Etant donné que les troubles mentaux associés à un traumatisme évoluent avec le temps, quelle est la chronologie des faits ? À quel stade le patient se trouve-t-il dans cette évolution ?
  • Quels autres facteurs traumatisants affectent le sujet (par exemple : déracinement forcé, exil, perte de la famille ou du statut social) ? Quel est leur impact sur la victime ?

 

 

(3)     Utilisation appropriée des informations obtenues pour faciliter l’établissement des faits

 

En dehors de la remise d’un certificat médical, le praticien peut être invité par les autorités judiciaires  à fournir une opinion professionnelle sur les conclusions de son examen dans le cadre d’un procès. Dans ce contexte, le professionnel de la santé est invité à donner des preuves en tant que témoin des faits et non en tant qu’informateur agissant en qualité d’expert. Il doit à ce titre se limiter à faire rapport des résultats, tels qu’ils les a observés. Pour faciliter son intervention, il lui est recommandé de rencontrer l’Officier du Ministère Public avant de se présenter devant le tribunal afin de préparer son témoignage et obtenir les informations concernant les points significatifs de l’affaire. Il est attendu qu’il se conduise de manière professionnelle à l’audience. A cette fin, il doit veiller notamment à :

  • utiliser une terminologie rigoureuse, en évitant le jargon et en définissant les termes médicaux d’une manière compréhensible pour les profanes ;
  • répondre aux questions qui lui sont posées aussi précisément que possible, avec objectivité et impartialité ;
  • indiquer s’il ignore la réponse à une question et demander de clarifier les questions non comprises ;
  • ne pas spéculer sur les causes de ses résultats et ne pas rendre compte de faits qui ne relèvent pas de son champ de compétences.

 

 


 

CHAPITRE 2

 

Ethique des soins et principes d’intervention dans le cadre d’une expertise médico-légale

 

 

Aussi variés soient-ils dans leur formulation, tous les codes nationaux et internationaux d’éthique médicale s’articulent autour de l’obligation fondamentale d’agir en toutes circonstances dans le meilleur intérêt des patients.

 

En RDC, les principes de déontologie et d’éthique des soins de santé sont stipulés notamment dans l’ordonnance 70-158 du 30 avril 1970.

 

a)     Devoir d’indépendance

 

Le praticien doit être capable de remplir ses fonctions professionnelles en toute probité et sans être influencé par une tierce partie.

 

Les nombreuses déclarations de l’Association médicale mondiale revendiquent la liberté des médecins d’agir en faisant abstraction de toutes considérations autres que le bien-être des patients, y compris d’éventuelles instructions données par des personnes qui prétendraient restreindre les droits qui leur sont reconnus (autorités carcérales ou forces de sécurité par exemple).

Des principes similaires sont formulés à l’attention du personnel infirmier dans le code du Conseil international des infirmières.

 

Les professionnels de la santé ont le devoir de soutenir leurs collègues qui s’élèvent contre les irrégularités pratiquées par les autorités, quelles qu’elles soient. Tout manquement à ce devoir risquerait de conduire à des violations des droits des patients et pourrait par conséquent être assimilé à une faute grave.

 

Dans sa résolution sur les droits de l’homme, l’Association médicale mondiale appelle toutes les associations médicales nationales à veiller à ce que les médecins ne dissimulent pas de violations, même lorsqu’ils craignent des représailles. Cette disposition implique que le prestataire documente dans son intégralité les preuves de sévices et transmette à la justice l’ensemble de ses conclusions, sans faire preuve de censure. Il est aussi attendu de lui qu’il dénonce publiquement toutes manœuvres visant à le persuader d’agir en violation de l’éthique de sa profession.

 

b)     Devoir d’assistance

 

Afin de simplifier le parcours de victimes souvent fragilisées et désorientées, les praticiens doivent veiller à orienter les patients dont l’état semble nécessiter une prise en charge complémentaire vers les structures locales appropriées, au besoin en les y accompagnant.  A ce titre, les praticiens doivent veiller à établir des contacts réguliers avec les représentants locaux des services sociaux, publics ou associatifs, judiciaires et de protection policière.

 

Un protocole complet de prise en charge multisectorielle devrait être mis sur pied avec ces interlocuteurs. Il doit permettre d’établir de manière précise des réseaux de renvoi, des systèmes de communication, des mécanismes de coordination et des stratégies effectives de suivi.

 

Suivant une approche holistique, ce protocole peut inclure le détachement ou la rotation temporaire d’intervenants spécialisés dans des structures partenaires. Il pourra être élaboré dans le cadre de la formation d’un ou de plusieurs groupes de travail multidisciplinaires ad hoc. Les modalités pratiques de son fonctionnement devront faire l’objet d’une large médiatisation auprès des populations locales, par voie d’affichage, d’insertion dans la presse écrite ou radiophonique, idéalement comme publication spécifique (guide ou livret présentant les coordonnées des intervenants, la nature des services offerts par chacun, les horaires d’accueil et permanences, etc.).

 

c)      Devoir de respecter l’autonomie du patient

 

Un précepte absolument fondamental de l’éthique médicale moderne établit que le patient lui-même est le meilleur juge de son propre intérêt. Il en découle que les professionnels de la santé doivent faire passer les souhaits exprimés par un patient avant le point de vue de toute tierce personne.

 

A ce titre, les praticiens devront s’assurer impérativement de :

 

1)      Présenter en des termes compréhensibles à la victime le processus judiciaire et les autres services d’assistance à sa disposition, ainsi que la nature et le but précis de l’examen médico-légal :

  • de manière simplifiée : le processus judiciaire et les autres services d’assistance à sa disposition ;;
  • de manière détaillée : la nature et le but précis de l’examen médico-légal, avant toute intervention.

 

Les praticiens veilleront à disposer d’une copie des lois de 2006 et, le cas échéant, du guide ou livret de présentation du protocole d’accompagnement des victimes. A défaut, ils s’assureront de disposer de la liste actualisée des services de prise en charge judiciaire les plus proches (barreau, ONG d’assistance judiciaire, services de police, parquets et juridictions) et des services associés (services administratifs, structures de prise en charge psycho-sociale, programmes d’aide à la réinsertion socio-économique, etc.). Ils distribueront autant que possible une copie de cette liste aux victimes, ou en assureront à tout le moins l’affichage visible dans les salles d’attente et d’examen.

 

Dans son rôle d’informateur, le praticien veillera à faire preuve de la plus grande neutralité et honnêteté. Après avoir décliné son identité et avoir fait état de ses titres et attributions (ainsi que, le cas échéant, ceux de l’interprète ou du spécialiste de l’enfance à ses côtés), il pourra tenir les propos suivants, à adapter selon les circonstances[1]  :

 

-          Lorsque le patient se présente de sa propre initiative au centre de santé

 

« Vous vous déclarez victime d’une agression sexuelle. Vous pouvez exercer une action en justice : si les faits sont établis par les autorités judiciaires, vous permettrez que l’auteur de l’agression fasse l’objet d’une condamnation et garantirez ainsi qu’il ne s’en prenne pas à d’autres personnes. Vous pourrez aussi être indemnisé(e) pour le préjudice que vous avez subi.

 

Dès lors, vous devez entrer en contact aussitôt que possible :

 

  • avec un avocat, à défaut un para-juriste ou un défenseur judiciaire, au sein d’une ONG ou d’une Clinique juridique, si vous le pouvez. Ces personnes connaissent bien les dispositions légales en vigueur, les interlocuteurs compétents et la procédure judiciaire. Ils veilleront à vous expliquer précisément en quoi elle consiste et à défendre vos intérêts à chaque étape de son déroulement.

 

  • avec un officier de police judiciaire de droit commun ou un magistrat du parquet, si l’auteur de votre agression est un civil ;

 

  • avec un officier de police judiciaire militaire ou un magistrat de l’Auditorat militaire si l’agresseur est un membre des services de sécurité (ex : PNC, FARDC, GR, DGM), un individu appartenant à un groupe armé dissident (ex : Mai Mai, FDLR, LRA) ou s’il s’est servi d’une arme au cours de l’agression.

 

Vous prendrez contact avec l’officier de police judiciaire ou le magistrat selon la proximité de votre domicile avec leur lieu d’exercice, que vous ayez ou non un avocat.

 

L’officier de police judiciaire ou le magistrat enregistreront votre ‘plainte’. La plainte est l’acte  par lequel vous portez à la connaissance des autorités judiciaires l’agression dont vous avez été victime. L’officier et le magistrat vous demanderont de préciser :

 

-          la nature et le lieu de l’infraction ;

-          les coordonnées d’éventuels témoins ;

-          le nom de l’auteur présumé, si vous le connaissez (à défaut, vous pouvez déposez une plainte "contre X").

 

Les OPJ et magistrats ont l’obligation d’enregistrer votre plainte, gratuitement, et de procéder à une investigation complète des faits que vous leur soumettez, dans un délai de quelques semaines seulement. Ils doivent vous tenir informés de leurs démarches : celles-ci peuvent aboutir à l’ouverture d’un procès auquel vous pourrez être associé(e) en vous constituant partie civile. La ‘constitution de partie civile’ est un acte de procédure par lequel vous demandez à la cour ou au tribunal saisi de votre dossier de vous allouer une somme d’argent en réparation de l’agression.

 

Si vous êtes assisté(e) par un avocat, celui-ci pourra vous inviter à introduire plutôt une citation directe auprès d’une juridiction de droit commun. Cette procédure rapide permet de saisir directement la cour ou le tribunal, sans enquête préalable du personnel judiciaire. Elle suppose que l’auteur de l’agression soit un civil identifié contre lequel vous disposez de preuves solides et suffisantes.

 

Quel que soit le mode de saisine de l’autorité judiciaire, il est important que vous conserviez et présentiez tous les éléments de preuve dont vous disposez, dès le dépôt de plainte. Il peut s’agir d’un objet utilisé par l’auteur au cours de l’agression, d’un bien lui appartenant, d’une lettre de chantage qu’il vous a adressée pour vous contraindre à l’acte sexuel, de déclarations de témoins, etc.

 

La consultation médicale est destinée à fournir un élément de preuve supplémentaire. Elle comporte, dans l’ordre :

 

-          des questions sur le contexte de l’agression que vous avez subie ainsi que sur ses conséquences sur votre santé physique et mentale ;

-          l’examen physique proprement dit (général, génital, anal, etc.) ;

-          des prélèvements éventuels ;

-          la prescription selon le cas d’un traitement.

 

L’examen physique sera réalisé en privé et dans le respect de votre dignité. Il implique notamment :

-          que vous soyez allongé(e) sur une table, dans une position permettant, avec l’éclairage approprié, d’observer vos parties génito-anales ;

-          que je touche des zones de votre corps y compris vos orifices naturels ;

-           que je conserve au besoin certaines substances, corporelles notamment (urine, sang, etc.), ainsi que vos vêtements.

 

Vous pouvez refuser toutes parties de l’examen auxquelles vous ne voulez pas vous soumettre. Votre refus de quelle qu’intervention que ce soit n’aura aucune conséquence sur votre accès à un traitement ou des soins si nécessaire. Il implique cependant que tous les éléments de preuve ne pourront être documentés. En leur absence, vos chances de démontrer le bien-fondé de votre action en justice seront alors plus faibles.

 

Sur base des éléments recueillis au cours de la consultation, je rédigerai ensuite avec votre accord un certificat médical en trois exemplaires originaux, deux que je vous remettrai gracieusementdès la fin de cette consultation et l’autre que je conserverai sous clé avec votre dossier personnel au centre. Ce document consiste dans la présentation des conclusions de mon examen et la formulation d’un avis sur leur compatibilité éventuelle avec vos allégations.

 

Si vous décidez d’exercer une action en justice, il est essentiel que vous présentiez un exemplaire du certificat à votre avocat ou au personnel judiciaire, à l’occasion notamment de votre dépôt de plainte. Il sera enregistré comme un élément du dossier judiciaire et pourra vous aider à prouver vos dires.

 

Il est possible que des magistrats, au stade des investigations ou éventuellement du procès, sollicitent un examen complémentaire ou vous réfère vers un autre prestataire. Cette procédure, appelée ‘réquisition’, est tout à fait normale et vise à établir avec plus de précision la vérité des faits présentés. A cet égard, je pourrai moi-même, au terme de la consultation, vous inviter à consulter un spécialiste de la santé mentale pour mieux documenter les troubles psychologiques liés à l’agression.

 

Il est important que vous vous soumettiez à ces différents examens si vous souhaitez être rétablie dans vos droits.

 

De la même manière, il est primordial que vous conserviez tous documents susceptibles d’établir la hauteur pécuniaire de votre préjudice devant les cours et tribunaux. Vos bulletins de paie passés (ou tout justificatif de salaire) permettront par exemple d’évaluer votre perte de revenus en cas d’incapacité temporaire liée à un alitement prolongé.

 

Il est possible que vous ne souhaitiez pas exercer d’action en justice aujourd’hui. Conservez cependant les exemplaires du certificat précieusement : si vous changez d’avis, la loi vous permet d’introduire une plainte dans un délai pouvant aller jusqu’à dix ans en fonction de l’agression que vous avez subie.

 

Le certificat est un document strictement confidentiel et vous seule êtes en droit de décider de son utilisation. La copie que je conserve, ainsi que les preuves médico-légales que je pourrai prélever, seront stockées dans un lieu sûr et fermé jusqu’à leur destruction dix ans après la date de votre agression. Si vous veniez à perdre un des deux certificats, je pourrais ainsi vous délivrer une copie sur la foi de l’exemplaire en ma possession. Seules les autorités judiciaires, dans l’hypothèse où elles auraient appris votre agression par un tiers ou souhaiteraient des indications supplémentaires, pourront solliciter sa remise. Dans ce cas, je ne leur délivrerai le certificat ou ne leur fournirai des informations vous concernant qu’après m’être assuré de votre accord explicite.

 

Vous avez de nombreux droits comme victime, notamment celui à la protection de votre vie et de votre intégrité physique. Si vous craignez d’exercer une action en justice par peur de représailles de votre agresseur ou que vous avez déjà subi des pressions ou menaces, n’hésitez pas en parler à la police ou aux magistrats. Ceux-ci ont le devoir d’assurer votre sécurité ainsi que celle de vos proches et d’éventuels témoins à charge.

 

Votre statut de victime vous ouvre aussi l’accès à d’autres services d’assistance (psycho-sociale et économique par exemple). Je vais vous remettre un guide/une liste qui recense les coordonnées de l’ensemble des structures locales impliquées dans la prise en charge des victimes.

 

N’hésitez pas à tout moment à m’exposer vos préoccupations ou à me poser toutes les questions qui vous pourriez avoir. »

 

-          Lorsque le patient se présente dans le cadre d’une réquisition judiciaire

 

Les prestataires qui interviennent pour le compte d’une autorité judiciaire ont l’obligation d’en informer leurs patients[2]. Après s’être présenté, ils pourront ainsi tenir le discours suivant (complété en cas de besoin avec des éléments d’information puisés dans la présentation précédente) :

« Vous êtes ici parce vous vous êtes déclaré(e) victime  d’une infraction à caractère sexuel auprès des services de la justice. Votre présence dans ce centre a pour but de procéder à un examen médico-légal qui vous permettra selon le cas de prouver vos allégations.

 

L’examen médico-légal comporte, dans l’ordre :

 

-          une série de questions que je vais vous poser sur le contexte de l’agression que vous avez subie ainsi que sur ses conséquences sur votre santé physique et mentale ; 

-          un examen physique proprement dit (général, génital, anal, etc.) ;

-          des prélèvements éventuels.

 

 L’examen sera réalisé en privé et dans le respect de votre personne. Il implique notamment : que vous soyez allongé(e) sur une table, dans une position permettant, avec l’éclairage approprié, l’observation de vos parties génito-anales ; l’examen et le toucher de plusieurs zones de votre corps y compris vos orifices naturels ; la collecte et la préservation éventuelles de substances corporelles (urine, sang, etc.) et de vos vêtements comme preuve. Vous pouvez refuser toutes parties de l’examen auxquelles vous ne voulez pas vous soumettre. Votre refus de quelle qu’intervention que ce soit n’aura aucune conséquence sur votre accès à un traitement et des soins si nécessaire. Il implique cependant que tous les éléments de preuve ne pourront être documentés. En leur absence, vos chances de démontrer le bien-fondé de votre action en justice seront alors plus faibles.

 

A partir des éléments recueillis au cours de la consultation, je rédigerai ensuite un certificat médical en trois exemplaires originaux : un que je vous délivrerai à la fin de l’examen, un que je remettrai aux autorités judiciaires avec votre accord et un autre que je conserverai sous clé avec votre dossier personnel au centre. Ce document consiste dans la présentation des conclusions de mon examen et la formulation d’un avis sur la corrélation probable entre mes observations et vos allégations. Il est strictement confidentiel et vise à évaluer le préjudice que vous avez subi.

 

Votre statut de victime vous ouvre l’accès à d’autres services d’assistance (psycho-sociale et économique par exemple). Si vous n’avez bénéficié d’aucune prise en charge à ce jour, je vais vous remettre un guide/une liste qui répertorie l’ensemble des structures locales impliquées dans l’accompagnement des victimes. N’hésitez pas à tout moment à m’exposer vos préoccupations et à me poser toutes les questions que vous pourriez avoir. »

 

2)      S’assurer à chaque étape que le patient a parfaitement compris la signification  des propos tenus et leurs implications pratiques

Le praticien doit veiller à transmettre l’information dans un langage simple et accessible par la victime afin de s’assurer qu’elle comprend la totalité des procédures qui seront réalisées.

 

Il devrait avant toute intervention la rassurer, sur un ton calme et bienveillant, en lui indiquant qu’elle aura le plein contrôle du déroulement et des composantes de l’examen.

 

Il devrait renouveler les explications à chaque étape de la consultation et veiller à répondre à toutes les questions qui lui sont posées, dans les limites de sa compétence.

 

Même lorsque le praticien possède des notions de la langue de la victime, la nature de l’examen médico-légal est trop importante pour risquer d’éventuelles erreurs de compréhension. Dans ce contexte, il devra être systématiquement fait appel aux services d’un interprète indépendant et dûment qualifié, soumis au même devoir de secret professionnel que le prestataire.

 

L’aide d’un proche ou accompagnant de la victime devrait être proscrite en toutes circonstances : la victime et le proche peuvent se laisser entraîner dans une conversation qui s’écarte des objectifs de l’examen ; des éléments d’information risquent de ne pas être dûment retranscrits ; compte tenu de sa familiarité avec la victime ou son agression, le proche risque de prendre par un biais quelconque la direction de l’entretien ou d’omettre ou dénaturer certains propos du patient.

 

Tant le prestataire que l’interprète veilleront à décliner leur identité et expliquer leur rôle respectif à la victime avant tout échange. Le praticien s’assurera de toujours adresser ses questions directement à la victime en maintenant un contact visuel avec cette dernière, plutôt que de se tourner vers l’interprète. De même, il s’appliquera à utiliser la deuxième personne dans l’énoncé de ses questions - « Vous êtes-vous lavé(e) après l’agression ? » plutôt que : « Demandez-lui si il/elle s’est lavé/e après l’agression ? ». Trop souvent, les praticiens donnent l’impression de ne pas suivre l’entretien parce que celui-ci se déroule dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Le prestataire devrait toujours être attentif non seulement aux paroles, mais aussi au langage corporel, aux expressions faciales, au ton de la voix et aux gestes de la victime, tous ces éléments étant essentiels pour se former une opinion sur le trouble psycho-traumatologique éventuel. Il devrait en outre se familiariser avec le vocabulaire des violences sexuelles dans les langues locales, de manière à pouvoir montrer qu’il sait de quoi il est question. Le fait de manifester une réaction en entendant un mot comme ‘buenzavi’ ou ‘busharati’ diminuera l’anxiété du patient et renforcera le sentiment de confiance à l’égard du praticien.

 

3)      S’assurer que le consentement du patient est donné librement

 

S’il est essentiel de veiller à ce que le patient approuve en pleine connaissance de cause les interventions, il est tout aussi important de s’assurer que son consentement est donné librement.

 

A l’instar du consentement donné sur la base de fausses informations, un consentement obtenu sous la contrainte est dépourvu de valeur. Un prestataire de soins agissant dans un tel contexte ne contrevient pas seulement aux règles de l’éthique médicale : sa conduite risque aussi de causer de sérieux préjudices aux patients et pourrait résulter en une grave perversion de la justice.

 

d)     Devoir de respecter le secret professionnel et l’autonomie du patient

 

L’astreinte au secret professionnel doit l’emporter sur toutes autres considérations, même judiciaires. Aux termes du titre IV de l’ordonnance 70-158 du 30 avril 1970, la communication d’un diagnostic ou de renseignements d’ordre médical peut uniquement se faire en cas de nécessité, moyennant le consentement de l’intéressé.

 

Des dilemmes résultant de la dualité des obligations d’assistance et de respect du secret professionnel peuvent parfois se présenter, donnant aux praticiens l’impression qu’ils sont écartelés entre des responsabilités contradictoires. C’est le cas par exemple :

-          lorsqu’un patient se présente spontanément pour demander des soins et dont l’examen révèle des signes évidents d’abus qu’il ne mentionne pas ou nie ;

-          lorsqu’un praticien examine un prisonnier à des fins thérapeutiques et constate une agression, commise par un co-détenu ou un agent de l’administration pénitentiaire, que le prisonnier craint de dénoncer par peur de rétorsions.

 

Face à de tels dilemmes, l’obligation de ne pas causer de préjudice au patient doit prévaloir et la décision finale de ce dernier doit impérativement être respectée. Les prestataires ne doivent pas cependant s’abstenir de toute action. Conformément à leur devoir d’assistance, ils sont tenus d’aider le patient à arrêter sa décision. Ils veilleront ainsi, seul et avec le patient,  à évaluer les risques qui menacent ce dernier au regard des bénéfices à attendre à empêcher la répétition de comportements illicites. Ils tenteront d’identifier avec lui des interlocuteurs ou organismes ressources qui puissent l’assister en cas d’ouverture d’une procédure judiciaire. Parfois, ils parviendront à persuader le patient de consentir à exercer une action en justice et à transmettre les informations médicales qui le concernent aux autorités judiciaires. Parfois, la divulgation des informations n’interviendra qu’à la suite d’une deuxième ou troisième consultation.

 

A d’autres occasions, le patient refusera catégoriquement de communiquer sa situation aux autorités judiciaires et le praticien sera tenu de respecter sa décision. Dans ces circonstances, il est possible que les professionnels de santé subissent des pressions de tiers informés de la situation pour les amener à lever l’anonymat ou saisir leurs dossiers. Les praticiens devront s’élever contre de telles pressions et refuser de transmettre les informations demandées.

 

Un autre dilemme peut survenir à l’occasion de l’examen d’un mineur, lorsque celui-ci révèle des signes manifestes d’agression que les parents ou l’enfant lui-même réfutent ou dont ils imputent la responsabilité à des personnes différentes. Dans une situation extrême, un mineur peut également avouer au praticien que l’agression a été commise par l’un de ses parents. Dans ce contexte, il est primordial que les mineurs puissent être consultés seuls, pour un temps plus ou moins long, idéalement en présence d’un intervenant social spécialiste de l’aide à l’enfance. Il s’agit pour le praticien de faire état des divergences éventuelles dans le récit des parties et d’exclure, le cas échéant, la possibilité d’une agression imputable à un membre de l’environnement intrafamilial.

 

Dans le cas d’un agresseur extérieur, le prestataire de soins procèdera avec les parents, comme exposé plus haut, à l’analyse objective des risques et bénéfices d’un examen médico-légal, en prenant en compte l’intérêt supérieur du mineur. Si des doutes planent sur la véracité de la parole des uns et des autres et que ceux-ci exposent de fait l’enfant à des risques sur sa santé  (dans un contexte d’inceste notamment), le praticien veillera à signaler le cas, dans l’hypothèse où aucun travailleur social n’était à ses côtés lors de la consultation, auprès des services compétents de l’aide à l’enfance. Cette divulgation se fera avec toutes les réserves qui s’imposent, auprès de personnes dépositaires par profession des secrets qui leur sont confiés. Le praticien veillera à cocher dans la partie ‘conclusions’ du certificat médical la phrase suivante : ‘l’intervention d’un professionnel de l’enfance est requise pour assister le mineur’. Sans qu’elle permette de préjuger des faits qui se sont réellement produits, cette indication devra alerter l’autorité judiciaire et orienter en conséquence la conduite de ses investigations. Le personnel judiciaire veillera notamment à s’assurer qu’une audition du mineur est réalisée en privé et pourra par exemple solliciter une enquête sociale sur le milieu de vie de l’enfant.

 

 

CHAPITRE I

L’expertise mÉdico-lÉgale

 

DÉFINITION ET MÉTHODOLOGIE

4

(1)     Collecte des indices des blessures et autres symptômes de violences sexuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

 

4

(2)     Evaluation de la corrélation entre les constatations médicales et les mauvais traitements dénoncés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

6

(3)     Utilisation appropriée des informations obtenues pour faciliter l’établissement des faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

6

 

 

CHAPITRE 2

Ethique des soins et principes d’intervention dans le cadre d’une expertise médico-légale

 

a) Devoir d’indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

8

b) Devoir d’assistance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9

c) Devoir de respecter l’autonomie du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9

1)      Présenter en des termes compréhensibles à la victime le processus judiciaire et les autres services d’assistance à sa disposition, ainsi que la nature et le but précis de l’examen médico-légal :

  • de manière simplifiée : le processus judiciaire et les autres services d’assistance à sa disposition ;;
  • de manière détaillée : la nature et le but précis de l’examen médico-légal, avant toute intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

 

 

 

 

9

-          Lorsque le patient se présente de sa propre initiative au centre de santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

10

-          Lorsque le patient se présente dans le cadre d’une réquisition judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

13

2)      S’assurer à chaque étape que le patient a parfaitement compris la signification  des propos tenus et leurs implications pratiques . . . .

 

15

3)      S’assurer que le consentement du patient est donné librement . . . .

16

d) Devoir de respecter le secret professionnel et l’autonomie du patient .

16

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Reproduit avec le soutien financier de l’Agence Canadienne de Développement International

 

         

 

 



[1] Ces propos seront tenus par exemple auprès des tuteurs de la victime si celle-ci est mineure.

[2] Ce principe est tiré de Doctors with dual obligations, Londres, British Medical Association, 1995.



04/07/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 592 autres membres